Les jours se suivent et ne se ressemblent pas

27 juin 2019 : Jour 3. J’ai bien dormi. J’en avais besoin. Il fallait que je me repose afin de ne pas revivre la journée d’hier, et il ne tient qu’à moi pour qu’elle ne se reproduise pas. Aujourd’hui, j’ai jeté mon dévolu sur le Wadi Ram. Le deuxième immanquable d’un séjour en Jordanie. Je prends la route en direction de ce petit village et du désert qui l’entoure.

Si j’ai déjà raté le Serin syriaque et le Roselin du Sinaï, je compte bien me rattraper avec des espèces désertiques… mais une fois de plus, ce n’est pas moi qui décide et ce ne sera pas moi non plus qui vais conduire dans l’étendue désertique. Malgré ces deux échecs, je trouve que je m’en sors plutôt bien. J’ai déjà pu observé quelques nouvelles espèces comme le Dromoïque du désert ou encore le Souimanga de Palestine, et des sous-espèces locales comme la Chevêche d’Athéna ou la Pie-grièche à tête rousse. Ce n’est pas si mal.

La route défile sous mes roues et sous celles des poids-lourds traversant le pays à tombeau ouvert. Je suis sur la route du désert, une autoroute reliant Aqaba au sud, au nord du pays. De l’Arabie Saoudite à la Syrie en somme. Un ou deux check-points se profilent devant moi. Arrêt obligatoire quelques secondes, et c’est reparti de plus belle. Un panneau m’indique Wadi village. C’est là que je dois tourner. Je m’extirpe de la langue de bitume et c’est le désert qui lentement ouvre sa bouche gigantesque. Comme un insecte attiré par la lumière, je m’avance vers nulle part, sans faire attention et le désert est dors et déjà prêt à me gober. Lorsque j’en prends conscience, tout n’est que sable et cailloux autour de moi. Le paysage a changé. Les oiseaux aussi normalement. Je ralentis, même si je ne roulais pas des plus vite, afin de ne pas louper l’espèce qui me lancerait la journée sur la bonne voie.

Et ce qui devait arriver arriva ! Du haut de son câble électrique, attendant sa future proie, un mâle Traquet à tête blanche patiente sagement. Je m’arrête sur le bas-coté et sors de la voiture. L’oiseau chasse un insecte et revient se poser. Le ballet est incessant et je suis aux premières loges. Superbe.

DSC00687Traquet à tête blanche

Quelques kilomètres plus loin, j’atteins le parking et me fais harceler par un rabatteur. Je n’aime pas ça. Pas du tout même. Il me faudra user de patience et d’espiègleries pour parvenir à lui faire lâcher le morceau, sans lui dire franchement « Non, je ne veux pas venir avec vous ! ». Je veux prendre mon temps et décider du parcours que je veux faire moi même. En plus, je ne suis pas encore dans l’enceinte de ce lieu inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. Qui sait où cet homme m’aurait conduit. Peut-être m’aurait-il fait visiter une zone hors de la zone protégée, ainsi je n’aurai pas vu les plus fameuses attractions et lui, n’aurait pas payer de droits d’entrée.

Je me dirige vers le centre d’accueil. L’homme rencontré précédemment m’a dit qu’il y travaillait. Pourquoi n’a t-il, dans ce cas, pas insisté pour m’y accompagner, puisque je lui ai dit que je souhaitais m’y rendre ? Je me retrouve désormais face au plan du désert sur lequel sont mentionnés les principaux points intéressants et les différents parcours. Je mets de longues minutes à me décider. Lorsque je me retourne, mon choix arrêté, un homme se dresse devant moi. Il me demande si j’ai fait mon choix. Oui. C’est parti ! Je m’arrête et lui pose deux questions :

« – On part tout de suite ?

  – Oui

  – Et je serai seul ?

  – Oui, je sais que tu aimes être seul ! »

Bien vu ! Je suis convaincu ! Il rajoute à cela un repas, du thé et une réduction… je ne peux pas lutter !

Le 4X4 n’est pas le plus beau, ni le plus gros et encore moins celui en meilleur état… mais il roule et c’est bien là le principal. Nous quittons le village et nous engageons à travers des pistes imaginaires. Il n’y a rien de marqué, nous avançons entre les grains de sable et slalomons entre les cailloux. La première pause approche déjà ! Le puits de Lawrence, nommé ainsi car il y a une source et que l’équipe de tournage du film Lawrence d’Arabie avait établi son camp de base ici. Rien de bien fou, mais lorsqu’on monte à cette fameuse source, le paysage est déjà assez prodigieux !

Les arrêts s’enchainent, les lieux fantastiques également. Pétra était magnifique, Wadi Rum la surpasse ! Je suis bien plus impressionné par le désert et ses dunes, ses vallées sablonneuses, ces montagnes aux falaises abruptes ou encore ses canyons que par la diversité et la beauté des temples nabatéens. Chacun ses goûts. Les goûts et les couleurs ne se discutent pas. Et pour les couleurs, je suis servi ! Du jaune au rouge, toutes les teintes sont utilisées, en passant par l’ocre, le beige, le marron, le orange… La palette est fabuleuse ! Et lorsque se rajoutent des oiseaux et des gravures, ma préférence devient définitive !

DSC00718Traquet deuil

Le canyon passé, nous nous faisons survoler par quelques Corbeaux bruns et quelques Hirondelles isabellines. Toujours pas de photos de ces deux espèces, mais ce n’est pas grave. L’essentiel est ailleurs. L’immensité qui se présente sous mes yeux est hypnotisante. Le village disparu depuis longtemps déjà et les installations en béton passées, les seules interventions humaines ne se découvrent qu’au dernier moment et ne relèvent que de toiles tendues qui nous attendent pour une tasse de thé.

Les monuments de pierre sont incroyables ! Des falaises abruptes succèdent à des dunes paraissant si douces. Des arches de pierres se sont formées naturellement, et les touristes ne manquent pas l’occasion d’y grimper dessus pour se faire prendre en photo. Je suis touriste mais pas à ce point. Pas de selfie et compagnie, ma carte est principalement habitée par des oiseaux. Des oiseaux et compagnie. Je ne suis pas contre un petit lézard de temps en temps et dans ce pays, je suis servi. J’ai déjà pu en observer quelques-uns mais celui qui se chauffe au soleil sous mes yeux est vraiment particulier. Je n’avais jamais vu ça ! Un lézard avec des pattes aussi longues ! C’est un Pseudotrapelus sinaitus . Et lorsqu’il s’échappe, il détale haut sur ses pattes, comme sur la pointe des pieds, ce qui lui donne une impression de légèreté.

On reprend la route, si on peut appeler ça une route. Il n’y a toujours rien. Seul les édifices naturels permettent de se repérer. Il y a bien quelques vestiges de traces de véhicules motorisés mais difficile de s’y fier. Elles partent dans tous les sens, puis se croisent avant de reprendre leur direction initiale et de bifurquer aléatoirement.

Le décor est toujours aussi beau ! On se croirait ailleurs ! Sur une autre planète ! Sur Mars peut-être, avec tout ce sable rouge ! Hollywood ne s’y est d’ailleurs pas trompé, et c’est ce même Wadi Ram qui a servi de décor au film Seul sur Mars avec Matt Damon. Et en effet, difficile de trouver meilleur endroit pour s’imaginer sur cet astre. Il n’y a pour ainsi dire rien, et c’est ce qui est bien ! Un univers encore vierge… ou presque… les installations en béton commencent à fleurir un peu partout et menace l’esprit sauvage du lieu ! Il faut également dire que je viens en basse-saison. Les touristes n’affluent pas. Il y a fort à parier que dans d’autres conditions, je n’aurai pas trouvé de guide aussi rapidement et une voiture pour moi seul. Je suppose, à juste titre, que des embouteillages doivent survenir à chaque « attraction » et des queues interminables de touristes doivent s’agglutiner pour avoir la même photo, celle prise les mains sur les hanches, en conquérant, sur une arche rocheuse. C’est à la mode de vouloir dominer la nature !

Je me contente d’admirer, de me laisser emporter par la beauté du paysage et par… les oiseaux ! J’entends chanter ! Les Roselins du Sinaï, invisibles hier à Petra, sont ici bien visibles. Parfaitement mimétiques, il faudra que l’un d’eux se détache sur le ciel bleu pour pouvoir les repérer. Une fois. Deux fois. Alors que je n’en avais pas encore vu, je les observe désormais à presque chaque escale. Mieux encore, cette dernière m’offre l’opportunité d’observer ce fameux roselin et son plumage rouge. C’est donc un mâle.

Les étapes se succèdent, les émerveillements aussi, les observations ornithologiques moins… mais ce n’est pas bien grave, je suis de meilleure humeur qu’hier. Le véhicule me rapproche petit à petit de la sortie. La boucle est presque finie, il ne reste que quelques kilomètres à effectuer. Je ne sais même pas si nous devons encore nous arrêter. Nous ne voyons pas encore le village, tout n’est qu’immensité autour de nous. Même les voitures sont rares. Il arrive parfois que nous croisons des touristes qui ont choisi la voie de la lenteur, à dos de dromadaire ou de chameau. Je ne sais plus exactement, mais c’est un très bon choix ! Le paysage est grisant, enivrant… rien ne se démarque et pourtant on ne sait où donner de la tête.

Le dernier arrêt n’est pas véritablement un arrêt, tout juste un ralentissement… et pourtant cette roche gravée est de toute beauté et le dromadaire particulièrement reconnaissable. Le temps d’une photo et nous voilà déjà repartis… quelques centaines de mètres plus loin, les toiles de campement ressortent du paysage, puis c’est le village qui apparait doucement et presque au dernier moment pour ainsi dire.

DSC00796

Je quitte mon guide, il est encore tôt dans l’après-midi et n’ai pas vraiment envie de reprendre la voiture. J’ai besoin de me dégourdir les jambes et de marcher un peu. Je n’ai pas vraiment l’habitude de rester enfermé dans un habitacle pour visiter, et je commence déjà à ressentir un drôle de sentiment par rapport à ma visite de Petra, hier. Le sentiment de ne pas avoir assez profité. Pas comme j’aurai du le faire. J’avais la chance d’être dans un lieu unique et rêvé pour bon nombre de personnes, y compris moi, et même si je suis allé jusqu’au bout du parcours, je n’ai pas saisi toutes les subtilités de l’endroit, je ne me suis pas laissé imprégné. Aujourd’hui est un autre jour. Je m’élance sur un sentier non loin du parking, je verrai bien où il me conduit.

Au début, c’est du sable. Et peu à peu, le sable disparaît. Je suis dans le lit d’une rivière asséchée, c’est du moins le sentiment que j’ai. Entre deux falaises, au milieu de rochers lissés et arrondis… si ce n’est pas le cas, ça y ressemble fortement. Il y a également un peu de végétation, mais il y a surtout des oiseaux ! Ça chante un peu partout ! Des vols de tourterelles me survolent. Je m’arrête quelques instants pour manger une pomme. Je reste presque immobile, je profite de l’instant et du paysage. Un vol de rufipennes approche, l’un de ces oiseaux, peut-être un peu plus curieux que les autres, se pose sur le rocher à coté du mien. Appareil à portée de main, celle-ci se retrouve entre hésitation et précipitation. Dois-je me dépêcher au risque de le faire fuir ou y aller doucement au risque de le voir partir avant de viser ? J’agis doucement et shoote ! Le portrait et réussi !

Un peu plus loin, c’est une femelle Traquet à tête blanche qui se montre. Elle passe de rocher en rocher et bien que je reste sur le semblant de sentier, elle n’apprécie pas vraiment ma venue et s’éloigne d’une dizaine de mètres à chaque fois que j’en fais cinq. Dans ces conditions, difficile de lui tirer le portrait. J’avance masqué par un rocher pour me donner une dernière chance, après je rebrousserai chemin ! Objectif atteint !

Me revoilà sur le parking, me revoilà dans la voiture. A moi de voir où je me rends désormais. J’ai ma petite idée. Je pense me rendre à l’ouest du pays, sur la route qui longe la frontière avec Israël et qui remonte vers la Mer Morte. En fait, l’objectif est bien sûr ornithologique. Mon pdf m’indique une petite réserve potentiellement intéressante à cette période de l’année. Je compte m’en rapprocher et la visiter demain matin, tôt, lorsque l’activité aviaire atteindra son paroxysme.

Je m’élance, c’est parti ! Je dois remonter un peu vers le nord, puis prendre une route qui me permettrait de traverser le massif montagneux au centre du pays. Je quitte l’autoroute, je ne serai pas resté longtemps dessus, et c’est tant mieux. Je suis désormais sur une petite route de montagne, c’est sinueux mais magnifique ! A tel point que je m’arrête très régulièrement pour admirer le paysage et immortaliser le lieu ! Il n’ y a rien autour, le point de vue s’ouvre sur des montagnes et des vallées. Ce n’est pas de la haute montagne, la neige n’embellit pas ce qu’elle touche ici, mais les teintes au soleil descendant sont remarquables. Les roches se parent de orange ou de rose à certains endroits. C’est incroyable. Je ne croise personne sur la route. Aucun touriste. Je me dis qu’ils ratent quelque chose ! Tellement habitués à suivre les masses et les sentiers balisés qu’il passent à coté de ça ! A mon retour, je conseillerai à tous ceux qui passent par la Jordanie, d’emprunter cette route !

Nouveau virage et nouveau point de vue ! Pouaaaah ! Je suis émerveillé ! Quelle journée ! Entre le désert et cette route, les paysages sont à la fête ! Je m’approche du bord pour prendre une photo, et un oiseau décolle. Je ne l’avais pas vu, il faut dire que l’animal n’est pas grand et était posé sur un léger contre-bas. Quelques centimètres. Un membre de la famille des alouettes. Un deuxième décolle, puis un troisième. Mais où sont-ils ? C’est pas possible d’en faire s’envoler autant, alors qu’ils sont devant mes pieds, à quelques mètres et que je ne les vois pas ! Je tente de régler ma vue à ce que je cherche ! Une tête surgit de derrière un caillou, puis une deuxième. Ils ne sont pas tous partis, je ne bouge plus mes pieds. Mes jambes sont ancrées au sol. L’un d’eux remonte sur la route, presque aussitôt imité par le deuxième. Ils sont exactement de la couleur de la roche sur laquelle ils sont posés ! Parfaitement mimétique ! Parfaitement cryptique ! Je comprends mieux ma difficulté à les repérer ! Ce sont des Ammomanes isabellines.

DSC00850Ammomane isabelline

Je poursuis ma route à travers la montagne et je me suis déjà trop arrêté. Le soleil descend et si je ne gagne pas la route, il me sera difficile de trouver un hôtel où dormir. Dans le pire des cas, j’ai toujours ma tente, mais bon, un bon lit me ferait du bien ! Je sens que la route tant convoitée approche, le GPS ne ment pas… et surprise ! Des dromadaires marchent sur la route ! Vision improbable dont la Jordanie a le secret !

Me voilà sur cette fameuse route ! Une route droite ! Déprimante ! Sur laquelle, les poids-lourds n’ont aucune pitié pour les petites voitures ! Une route poussiéreuse ! Des montagnes à droite, des acacias au fond à gauche, et devant le bitume sur des centaines de kilomètres ! Quelques panneaux indiquent la distance séparant de la Mer Morte, mais mis à part ça, de ce coté là aussi c’est le désert ! La lumière n’est plus descendante, la lumière n’existe plus… je roule encore un peu, mais est-ce bien prudent avec tous ces camions téméraires ! Dès que l’opportunité se présentera, je m’arrêterai ! Le problème est que ce coin n’est pas du tout touristique, il y a quelques villages, mais pas d’hôtel. Il y a quelques échoppes, mais pas d’hôtel.

Ce n’est pas bien grave pour l’instant, il n’est pas si tard et je ne suis pas particulièrement fatigué ! En plus, plus j’avance et plus je m’approche de la réserve que je veux visiter demain ! …mais ces camions…

Je vois finalement un panneau qui indique la réserve ! Je m’arrête et tente de trouver un hôtel via le GPS ! Si je le crois, il y en a un à quelques kilomètres sur ma droite ! C’est parti ! Je valide la destination… la distance change de quelques kilomètres à une soixantaine ! Le premier aperçu était à vol d’oiseau, le deuxième par la route ! Bon ben, allons-y ! Il faut voir le bon coté des choses, demain, je n’aurai qu’une soixantaine de kilomètres à faire pour arriver à la réserve !

 

15 réflexions sur “Les jours se suivent et ne se ressemblent pas

  1. Quelle superbe journée, des paysages à couper le souffle et de super rencontres naturalistes, que demander de plus !!! Le lézard est vraiment impressionnant dans cette posture ! Et la rencontre avec les ammomanes, un bien beau souvenir j’imagine 🙂 Merci pour le partage Jérôme !

    Amitiés
    Seb

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    • C’était un débat entre un couple d’amis, avant que j’aille en Jordanie. Petra ou Wadi Rum ? Elle avait préféré le désert et lui Pétra. J’ai préféré Wadi Rum aussi, mais c’est vrai que toutes les conditions n’étaient pas réunies lors de ma visite de Pétra.

      On a cherché un peu les oiseaux dans le désert, mais c’était vraiment faible… le coin devait certainement être trop touristique. Il aurait fallu s’éloigner un peu des foules et s’enfoncer davantage dans le truc.

      Bien content d’avoir vu ces ammomanes également, comme toutes les espèces désertiques. Elles sont tellement atypiques pour nous ! 🙂

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  2. Une question me vient, est-il possible de visiter en solo avec le véhicule qui va bien ou faut-il nécessairement un guide ? Ou alors n’y a -t-il pas de guides avec option ornitho ? 🙂 Perso, je n’aime pas trop être trimbalé sans pouvoir m’arrêter quand j’ai envie ou j’ai envie mais après, j’ai aussi conscience que ce n’est pas possible partout !

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