Tout vient à point

30 novembre 2018 : Je me réveille avec la ferme intention de quitter ce parc. Je ne suis pas enchanté par ce que j’y ai découvert jusqu’à présent, pourtant je suis prêt à parier qu’il y a beaucoup de choses à voir. Tiraillé entre donner une seconde chance au sud de Taïwan et commencer à remonter gentiment vers le nord, en me rapprochant du Parc National de Yushan, je coupe la poire en deux. La première partie de la journée sera consacrée à explorer quelques coins aux alentours, la seconde à la route.

C’est ainsi que commence ma journée. Je longe la côte, je l’avoue, c’est magnifique… mais les conditions météorologiques ne sont décidément pas de mon coté. Lorsque ce n’est pas la pluie, c’est le vent qui ne veut pas me faciliter la tache. Les rafales sont puissantes, au point qu’il en est difficile de se tenir droit, j’immortalise quelques points de vue mais quitte rapidement les lieux.

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Je suis à la recherche d’une plage pour ramener un peu de sable pour ma femme. Je n’ai pas vraiment de contrainte, mais les grains ramenés serviront pour notre renouvellement de voeux alors je veux faire les choses bien et m’impose mes propres critères. Belle plage certes, mais plage propre également, et sable blanc de préférence… autant dire que la mission n’est peut-être pas impossible mais en tout cas très difficilement réalisable. La seule qui rassemble tous ces éléments est interdite au public…

Je continue mon avancée… si je vois une plage à ma convenance je m’y arrêterai mais n’en fais pas une fixation, d’autant que la cote s’éloigne et que la route commence à pénétrer à l’intérieur des terres. Je m’arrête à divers endroits préalablement repérés par le biais de dépliants et autres documents récupérés au fil de mes visites. Malheureusement, rien de tout cela n’est fructueux… tant sur le plan des plages, mais ça je m’y attendais, que pour les différents sentiers et points d’observation. Je rajoute bien quelques espèces à ma liste d’oiseaux taïwanais mais il s’agit d’oiseaux présents également en Europe : Fuligule morillon et Grand cormoran… Les seuls petits sourires sont donnés par un passage éclair de Pirolles de Taïwan et une Tourterelle tigrine peu farouche sur un parking.

dsc07681Tourterelle tigrine

Bref, rien de bien passionnant à se mettre sous l’oeil. Dernière chance. Après ça sera trop tard pour me convaincre, je roulerai vers de nouveaux horizons. Je porte mon dévolu sur une cascade. D’après les photos et la description faite, ça a l’air plutôt chouette, ma curiosité fait le reste… mais voilà, ça serait trop simple si ce n’était pas un peu compliqué… le lieu n’est pas si facile à trouver, et surtout, plus loin que ce que je pensais.

Je parviens toutefois à mes fins. Surprise ! J’arrive sur un site très aménagé… peut-être trop même… Je suis dans un parc ! Parc National certes, et encore je n’en suis pas certain, j’ai pas mal roulé, mais surtout parc pour enfant… rien de naturel… les dépliants m’auraient-ils fait miroiter une image plus belle que ce qu’il en est réellement ? Je ne suis pas à une mauvaise surprise près.

Sur la droite du parc, un léger cours d’eau dort tranquillement dans son lit. Je décide de le remonter. Si cascade il y a, il y a de fortes chances qu’il faille prendre la rivière à contre-courant. Alors je marche… le chemin devient très rapidement une route goudronnée sur laquelle je croise quelques cyclistes, toujours étonnés de rencontrer un occidental et toujours heureux d’entendre un « bonjour » en chinois.

Les choses ne sont pas toujours ce qu’elles semblent être. Sans transition et sans m’en apercevoir réellement, la route a fait place à un sentier de randonnée… perdu dans mes pensées, ressassant sans cesse les quelques déceptions du jour, je n’ai pas perçu de changement et pourtant il est bien là. La nature, comme souvent à Taïwan, sans crier gare, sans avertissement, débarque avec ses grands sabots. Avec elle, végétation certes, mais également habitants… et ils ne sont pas tous de bec et de plumes. D’ailleurs sur un plan ornithologique, la récolte est maigre… pour l’instant rien de neuf, si ce n’est un rapace de grande taille qui survolait les bananeraies. Pas d’identification possible lorsque l’observation se fait depuis l’autoroute. Je me rabats sur l’infiniment petit.

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Au détour d’un virage, l’évidence se révèle enfin à moi. Et si je n’avais pas exploré le Parc National au bon endroit ? Et si l’intérieur des terres, bien que non mentionné sur les cartes, était plus intéressant que les parties protégées du littoral ? Questions purement rhétoriques. La réponse coule de source, comme le cours d’eau qui défile maintenant en contre-bas. Autour, tout n’est que végétation ! La rivière devient par intermittence invisible, perdue au fond de la vallée. Le sentier, lui, ne cesse de prendre de la hauteur ! Le dénivelé est assez important et il n’est pas rare que je double des marcheurs non expérimentés en train de reprendre leur souffle. J’ai trouvé mon rythme, et ne ralentis pas… m’arrête toutefois pour prendre quelques photos mais repars rapidement comme attiré par le doux roulement de l’eau.

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Et puis, le chemin s’arrête… face au cours d’eau… qu’il faut à première vue traverser mais aucun ne sentier ne se laisse découvrir sur l’autre rive. Le coin est sympathique, et si la cascade annoncée est le petit amoncellement de rochers que je vois devant moi, il y a de quoi être raisonnablement déçu. En observant mieux, à défaut de sentier, j’aperçois un semblant de câble qui longe la rivière. Il va falloir jouer les Indiana Jones ! Aucune autre possibilité d’avancer de toute façon.

Je me rends rapidement compte que la marche à suivre est plus simple que ce qu’elle paraissait. Tel un des oiseaux que j’admire tant, je sautille de rochers en rochers, n’utilise le câble que pour me diriger et prendre appui lors d’une légère ascension. La cascade se rapproche de moi, à moins d’avoir inversé les rôles, et le bruit de l’eau qui se fracasse sur le lit silencieux est de plus en plus audible.

Il n’y a maintenant plus de câble, plus aucun chemin… il faut suivre aveuglément le cours d’eau, s’abandonner à lui et lui faire confiance. Une fois de plus, sans prévenir, se dévoile une merveille de la nature. Le filet d’eau a beau être mince, son lit s’est élargi. Des rochers se chevauchent les uns les autres. Désordre rocailleux et au dessus de cette décharge naturelle, la cascade se révèle enfin. Elle n’est pas des plus impressionnante par sa largeur ou par sa puissance, mais il se dégage du lieu un air de sérénité et de quiétude. Le décor est parfait ! En faisant un tour sur moi même, je ne perçois aucune infrastructure d’origine humaine, si ce n’est un panneau de mise en garde qui semble être aussi vieux que la roche sur laquelle il est scellé. Pas de chemin non plus, pas de câble électrique… juste la nature… Le lieu n’a véritablement plus rien à voir avec le point de départ du sentier, le parc pour enfant et la pollution ambiante… je revis.

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Je revis ! C’est fou comme un court instant peut nous faire oublier tout ce qui a précédé. Comme si la cascade était la récompense de la journée et qu’il fallait « subir » quelques déconvenues pour finalement atteindre l’objectif. D’ailleurs, sans toutes ces frustrations, aurai-je autant apprécié ce moment ? Il y a fort à parier que la réponse serait de l’ordre de la négation. C’est en partie aussi, le décalage entre le début de la journée et ce coin parfait, ou presque, qui fait que j’en ressens davantage l’énergie !

Parfait ou presque ! Il ne manquerait que quelques oiseaux pour orienter définitivement l’aiguille vers la perfection… et c’est calme… très calme… il n’y a qu’une femelle Nymphée fuligineuse dans les alentours. Je ne vais pas m’en plaindre. Si j’avais pu immortaliser le mâle noir et son croupion rouge, je n’avais, en revanche, pas eu le loisir de photographier la femelle grise au croupion blanc… c’est maintenant chose faite.

dsc07718Nymphée fuligineuse

J’amorce le retour. J’ai perdu beaucoup de temps sur la route ce matin à chercher une excursion convenable, je me suis même éloigné de la route que je dois emprunter pour remonter, alors je rebrousse chemin. Il commence à se faire tard et la nuit tombe vite. Pas de temps à perdre.

Première journée du voyage sans nouvelle espèce d’oiseaux, espérons que ça sera la seule et la dernière. Sur le parking, alors que je pars payer mon stationnement, je vois encore un grand rapace… et je n’ai ni jumelles, ni appareil photo sur moi, les ayant laissé dans la voiture… la poisse.

Quelque minutes plus tard, je roule, traverse des villages et rejoins enfin la route principale qui va me permettre de remonter doucement. Je n’ai pas prévu de tout faire d’une traite, mais de me rapprocher au maximum du Parc National de Yushan qui m’avait tant séduit il y a quelques jours. Demain, à la première heure, j’y entamerai l’exploration de l’entrée Sud-Est, en espérant avoir un meilleur temps.

La route est magnifique. Elle coupe le sud de Taïwan en deux dans le sens de la largeur, slalome entre montagnes et vallées, et semble suivre des panneaux indiquant une forêt. J’avais déjà vu des panneaux semblables hier, alors que je n’avais pas encore mis le pied dans le Kenting N.P.. Je m’étais dit que si ça ne me plaisait pas, je pouvais m’y arrêter sur le retour, sans savoir toutefois précisément où cette forêt se trouve. J’aurais peut-être dû rester sur ma première idée. Si j’avais su ce que ma journée me réservait, je l’aurais organisée différemment. Planning parfait : cascade le matin, et forêt sur le retour puisque finalement, elle est sur l’itinéraire prévue. Mais une nouvelle fois, aurais-je autant apprécié la cascade sans tout ce qu’il a précédé sa découverte ? Et puis, rien ne me dit que la forêt ne serait pas non plus une déception ! Je ne le saurai jamais, et c’est très bien comme ça !

5 réflexions sur “Tout vient à point

  1. mais oui c’est très bien comme ça et j’espère bien que tu l’as trouvé ce sable blanc 😉
    j’adore la tourterelle et l’araignée!

    d’autant que la cote s’éloigne (je sais bien que t’es fâché avec les accents mais là si y a pas l’accent, ça change de sens 😉 )
    elle est sur l’itinéraire prévue (elle est prévue sur l’itinéraire…..car ‘itinéraire prévue’, ça le fait moins, non?)

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  2. Je crois que c’est l’un des secrets des cascades, nous faire s’extasier et oublier les déceptions alentour… La marche qui y mène presque à chaque fois n’y est sans doute pas non plus pour rien… Une belle découverte en tout cas, et cette petite nymphée me plait beaucoup 🙂

    Amitiés
    Seb

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