Jeu de piste

28 novembre 2018 : Réveil difficile. J’ouvre mes yeux et ma mauvaise humeur par la même occasion. Un ras le bol s’est emparé de moi ce matin. Les goutes qui s’écrasent sur la fenêtre au dessus de ma tête n’y sont pas étrangères. Habituellement, la pluie ne me dérange pas plus que ça… mais ce matin, je n’ai pas envie de me tremper une fois de plus. Je jette un rapide coup d’oeil sur la météo du reste de l’île. Le verdict tombe. Au diable Alishan, bonjour Taïnan ! Le programme est changé ! Je porte mon dévolu sur le Taijiang National Park, celui que j’avais repéré hier, j’avance mes plans d’un jour et me fixe un nouvel objectif : observer des Petites spatules, une espèce qui a frôlé l’extinction !

Petit rituel matinal, je plie bagage et profite du wifi pour trouver un repère géographique à retranscrire sur le GPS. Celui-ci étant en chinois, je ne peux rentrer aucune adresse et dois chercher les lieux à visiter sur la carte. Choses faites, me voilà à rouler vers ma destination. Si tout se passe bien, dans deux heures, j’aurai oublié les nuages et le ciel gris, et commencerai mon exploration.

Mais les Parcs nationaux se suivent et ne se ressemblent pas. Si Taroko s’étale le long de gorges et Yushan met en valeur les sommets de Taïwan, Taijiang présente un profil un peu particulier. D’ailleurs, j’aurai pu m’en douter en étudiant plus en détail la carte qui m’a servi de référence. Le parc a une taille restreinte, coincé d’un coté par la Mer de Chine et de l’autre par la ville de Tainan, et se compose d’un réseau d’étangs. Ambiance étrange lors de mon arrivée. Tout est en travaux. Une boutique est ouverte, mais aucun centre d’accueil, aucun plan ou dépliant. En revanche, je sais que je ne suis pas loin de mon but, il y a des représentations de Petites spatules un peu partout et sur différents supports ! C’est la mascotte du parc. Il ne me reste plus qu’à trouver celles en chair, en os et en plumes !

Je commence mon avancée mais constate rapidement que l’observation sera plus compliquée que prévue. Il y a très peu d’oiseaux, et les quelques échassiers blancs se situent très loin… au fin fond de l’estuaire. Le chemin m’emmène à divaguer entre différents bassins. Aucune chance de voir les spatules ici, mais sait-on jamais… de toute façon, j’ai tout mon temps, il est encore tôt, et je peux tomber sur une autre espèce qui me ravira. Qui plus est les limicoles sont omniprésents, des chevaliers principalement (gambettes, guignette, stagnations, aboyeurs,…), je trouverai peut-être une espèce qui manque à ma collection. A quelques mètres devant mes pieds s’envole un groupe de petits passereaux qui se pose non loin de là. Ce sont des Capucins damiers. Une espèce que j’ai déjà eu l’occasion de voir en Guadeloupe sauf que dans les Antilles, sa présence n’est pas naturelle.

 

 

 

DSC07470Capucin damier

Un Martin-pêcheur d’Europe décolle. Avec toute la diversité que propose la famille de cet oiseau très coloré, il a fallu que j’aille sur une île qui accueille le même qu’en France. Ce n’est pas le seul oiseau présent en Europe, et j’ai un peu l’impression de me promener en Camargue : Sterne hansel et caspienne, Grèbe castagneux et à cou noir, Bécasseaux variables, Canard souchet, pilet et colvert… malgré ça, le plaisir est là. Des oiseaux asiatiques ponctuent la promenade me rappelant de temps en temps, comme s’il le fallait, que je ne suis pas chez moi : Martins de Java et Etourneaux soyeux se fixant cette mission. Des hirondelles décrivent des cerclent au dessus des différents plans d’eau, chassant les insectes en vol. Il s’agit pour moi, d’une nouvelle espèce : ce sont des Hirondelles striolées, mais il m’est difficile de les prendre en photo pour l’instant. Je remets l’exercice à plus tard, me rappelant que lors de mon premier jour à Taïpei, je n’avais pas photographié les Hirondelles de Tahiti de suite, mais lorsque l’occasion s’est présentée d’en voir quelques individus posés. Le schéma se répète, et alors, que je tourne sur la droite, quelques unes semblent m’attendre sur leur perchoir.

DSC07493Hirondelle striolée

Je regagne la voiture, et décide d’aller un peu plus loin, de voir où peut me mener la route qui m’a conduit ici. D’autant que d’après le GPS, la zone est pleine d’étangs qui paraissent bien plus grands que ces petits bassins, et donc potentiellement bien plus intéressants également. Perspicace ! J’entame cette folle expédition et bifurque sur la droite. Quelques panneaux m’indiquent des sujets intéressants : éco-village, musée des baleines, wildlife refuge… Le jeu de piste continue ! Chaque nouveau site m’envoie à un autre. Les différentes étapes ne révèlent rien, sont fermés au public ou paraissent abandonnés… pourtant je suis bien dans le parc national, des panneaux en attestent et mes sorties à pieds ne seront que de courte durée. Néanmoins, je ne suis pas venu pour rien et le dernier arrêt va s’avérer particulièrement fructueux ! Une petite route se glisse entre deux étangs riches en limicoles. Il y a bien quelques échassiers blancs, mais aucune spatules à l’horizon, juste des Grandes aigrettes et des Aigrette garzettes, comme à la maison ! Il y a aussi quelques hérons et parfois quelques blongios qui me surprennent en décollant tout autant qu’ils ont été surpris de me voir. Et puis il y a aussi des bihoreaux ! Je n’ai jamais vu autant de Bihoreaux gris que ce que j’en ai vus depuis mon arrivée à Taïwan ! Il y en a partout et ils ne se cachent pas ! J’en ai même vu postés sur des pylônes et des câbles électriques !

Mais sur cette route, pour en revenir au principaux habitants, il y a beaucoup de limicoles ! Des chevaliers bien entendu, mais aussi des gravelots, des bécasseaux et des pluviers, et c’est une nouveauté pour ce voyage ! Il faut bien avouer qu’à part dans les rizières inondées, mes différentes visites n’offraient que très peu d’opportunités d’observation de ces petites boules de plumes. Enfin, « petites » c’est vite dit ! Car si les gravelots ne sont pas bien gros en revanche les autres  membres du groupe des charadriiformes ont des tailles qui sortent de mon ordinaire. Les bécasseaux que j’ai sous les yeux font quasiment la taille des Pluviers argentés qui sont derrière eux ! Ce sont des Bécasseaux de l’Anadyr et une nouvelle espèce pour moi. Mine de rien, sans m’en rendre compte, j’approche doucement de mon quotas d’une dizaine de nouvelles espèces quotidiennes. J’espère que la numéro 10 sera la Petite spatule…

DSC07524Bécasseaux de l’Anadyr

DSC07516Pluvier argenté

DSC07527Pluvier argenté et Bécasseaux de l’Anadyr

Ce site est décidément riche et alors que je m’apprête à faire demi tour pour revenir sur mes pas, mon regard est attiré par un autre pluvier. Celui-ci n’est pas argenté ! Il est plutôt doré ! Mais ce n’est pas le Pluvier doré que l’on peut croiser assez facilement en Islande par exemple, même s’il en est très proche génétiquement parlant. Celui-ci est un peu plus petit et plus mince. Il s’agit du Pluvier fauve ! Une espèce que l’on a séparé que très récemment, en 1993, du Pluvier bronzé dont les aires de nidification et d’hivernage sont différentes.  Là aussi, il s’agit d’une nouvelle espèce pour moi !

Pour finir avec ce site, j’apprends un élément qui va me permettre de continuer ma quête de la spatule. Il y a une carte ! Et sur ce plan est indiqué un observatoire à quelques rues de là !

DSC07521 copiePluvier fauve

Demi-tour, direction ce fameux observatoire ! Il est un peu désorientant de sortir d’une petite route tranquille pour se retrouver sur de grandes avenues ! Désertes certes, ou presque, mais grandes avenues tout de même. Et plus j’avance, plus le décor s’urbanise ! J’évolue dans ce qui semble être une pépinière d’entreprises, une sorte de zone industrielle dans laquelle les touristes doivent être très rares. Je jette un coup d’oeil sur la photo que j’ai prise du plan et m’aperçois que j’ai un peu de mal à m’y retrouver. J’ai pourtant le sens de l’orientation, mais, je ne sais pas, il doit y avoir une façon différente de s’orienter dans ce pays. Quelques minutes plus tard, j’arrive à ce fameux observatoire qui permet d’observer… rien… si ce n’est une roselière… en réalité, l’ouverture permettant la prise de vue donne sur des roseaux espacés seulement de quelques mètres de l’édifice… autant dire que rien ne peut être observer et encore moins les limicoles, pourtant spécifiés sur l’énoncé exact du spot !

Ce n’est pas bien grave, je reprends la voiture, et fais confiance à mon instinct. Je retourne vers les zones qui me paraissaient plus sauvages, mais en empruntant une route différente. Je parviens rapidement au croisement rencontré plus tôt dans la journée et décide de m’arrêter près d’un temple. Encore une fois, l’idée est bonne ! Si la visite, bien que rapide, du temple est déjà une bonne idée en soi, tant les détails, les couleurs, l’architecture, le style et les croyances sont fascinants et permettent rapidement un dépaysement salutaire, je me retrouve une nouvelle fois nez à nez avec un plan ! C’est une véritable course d’orientation ! A chaque arrêt je découvre un nouveau plan qui me propose de nouvelles aventures. Ce qui est étrange, c’est que ces différents arrêts sont faits sur une zone assez restreinte et que par conséquent, sur chaque plan je peux voir mes étapes précédentes, mais à chaque fois se rajoute un élément qui peut se révéler déterminant pour la suite, et cette fois j’en suis convaincu, je touche au but. Il ne peut en être autrement. Le plan que j’ai sous les yeux est doublé d’un plan plus large permettant de se repérer par rapport à la ville plus généralement… et sur ce plan large, je vois qu’à quelques kilomètres de moi se trouve le centre de conservation de la Petite spatule ! Nouvelles photos de plan, il faut que je retourne à la voiture approfondir cette nouvelle piste !

Je vois la voiture qui m’attend sagement sur le parking… mais je vois aussi un groupe d’oiseaux qui vient se poser le temps de quelques secondes sur un arbre ! Appareil toujours prêt à être dégainé, j’immortalise les volatiles ! Des volatiles qui comme le Pluvier fauve, ont été dissociés récemment d’une autre espèce ! Ces oiseaux sont des Pies bleues à calotte noire et les oiseaux auxquels elles étaient apparentées n’est autre que la Pie bleue ibérique, un corvidé vivant en Espagne et au Portugal ! Les deux espèces sont en apparence très proches et on a longtemps pensé que des individus asiatiques avaient pu arriver sur la péninsule ibérique par le biais de navigateurs… mais des études génétiques et morphologiques récentes sur les différents foyers de population ont prouvé qu’il s’agissait bien de deux espèces distinctes ! Conclusion corroborée par la découverte, en 2000, de fossiles de Pie bleue ibérique, à Gibraltar, confirmant leur présence européenne il y a plus de 44 000 ans, jetant ainsi un froid sur la théorie d’une origine asiatique récente.

dsc07533

DSC07546Pie bleue à calotte noire

Le jour décline déjà, et si je n’ai pas vraiment eu de soleil, je peux me rassurer en me disant que je n’ai pas eu de pluie et que je suis sec ! C’est déjà une bonne chose !

Je m’élance vers le centre de conservation en espérant qu’il ne sera pas trop tard pour observer l’objet de ma venue. Si la lumière ne me permet pas de voir les spatules à mon arrivée, j’élabore déjà un plan pour retourner sur le site dès demain ! Après tout, j’ai pris de l’avance sur mes projets !

Quelques minutes plus tard, j’arrive à destination. Le nombre de voitures sur le parking me réconforte. S’il y a du monde, c’est qu’il y a, en toute logique, quelque chose à voir… et alors que, je n’ai fait que quelques pas je suis survolé par un petit groupe de Petites spatules ! J’arrive à l’observatoire, non loin de là, et ne suis pas seul. Les jumelles et longue-vues sont de sortie, les ornithos sont là… et les oiseaux aussi ! A bonne distance certes, mais bien présentes, des Petites spatules sont en groupe au milieu de l’étang ! Un groupe qui compte quand même plus de 120 individus ! Cela peut paraître dérisoire, mais il y a quelques années encore, une telle observation aurait constitué près de la moitié de la population mondiale de cette espèce !

En effet, cette espèce est passée au bord de l’extinction… sa population mondiale était à la fin des années 80 estimée à 288 individus ! Aujourd’hui, on dénombre environ 2250 individus matures, et la population tend encore à augmenter. Bonne nouvelle ! Il n’en reste pas moins que l’équilibre demeure précaire, qu’il ne faut pas se relâcher et que les éco-systèmes dans lesquels cet oiseau évolue restent fragiles. La partie n’est pas terminée !

DSC07567 copiePetite spatule

DSC07573Petite spatule

Satisfait de cette nouvelle journée bien remplie, j’élabore déjà un nouveau plan pour demain, l’objectif du jour étant atteint ! Mais je ne cherche pas bien longtemps ! J’ai déjà ma petite idée ! Une autre espèce vivant dans les environs me fait de l’oeil !

 

11 réflexions sur “Jeu de piste

  1. et voilà, j’ai rattrapé mon retard de lecture! si tu regardes à quelle heure j’ai posté le premier commentaire, tu vois que j’ai besoin d’avoir du temps devant moi pour profiter pleinement de tes billets 😉
    les pies bleues me plaisent beaucoup, je crois que je suis fan de cette espèce-là aussi!

    Les goutes qui s’écrasent sur la fenêtre au dessus de ma tête n’y sont pas étrangères.
    il y a des représentations des Petites spatules un peu partout et sur tous support !

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  2. Aujourd’hui c’est limi (mais pas que) 🙂 Même si j’arrive trop tard pour l’hirondelle striolée et la pie bleue à calotte noire qui ont fait les frais de ta grande opération vide-grenier, le petit aperçu est très sympa 🙂 La photo des petites spatules en vol est magnifique, très graphique, j’adore ! Merci Jérôme !

    Amitiés
    Seb

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