L’île aux oiseaux

25 novembre 2018: La première étape fut courte. A peine une cinquantaine de kilomètres entre Taïpei et Yilan. Depuis hier, je suis dans le nord-est du pays, le long de la cote. L’intérêt est, comme bien souvent, d’ordre ornithologique. Un fleuve se jette dans l’océan à cet endroit là, et forme un estuaire très prisé de l’avifaune… normalement. Mais la météo pluvieuse et, peut-être aussi, la saison auront eu raison des observations. J’y ai bien vu quelques espèces susceptibles d’allonger mes listes taïwanaises et mondiales (Pie-grièche Schach, Drongo royal, Blongios de Chine, Autour huppé, Canard de Chine,…), mais j’ai globalement été déçu… au point de ne pas vouloir retenter l’expérience ce matin et de vouloir me lancer à la découverte des terres intérieures. Déçu peut-être parce que j’en attendais beaucoup, j’avais peut-être fixé la barre un peu haute en plaçant le site parmi les points incontournables du voyage. Il faut dire que plus de 400 espèces déjà observées dans cet estuaire,  ça vendait du rêve… alors je me berçais d’illusions… le site au final n’est pas beau, un peu sale également, et les observations se font à bonne distance. En fait le plus intéressant réside dans les rizières inondées disséminées un peu partout à proximité. J’aurais peut-être du y rester un peu plus longtemps mais la nuit qui tombait m’a forcé à réviser mes plans. Peut-être que sur le retour, je m’y arrêterai de nouveau.

Ce matin, je me lève avec la ferme intention de plonger vers de nouveaux horizons tropicaux ! J’en ai eu un rapide aperçu hier sur l’autoroute, elle serpentait sur un court tronçon entre des collines recouvertes de végétation luxuriante. Il ne m’en fallait pas plus pour attiser ma curiosité… et puis, j’ai repéré, sur une carte, un jardin botanique qui termine une route s’enfonçant dans les terres. Le temps est humide, quelques gouttes s’abattent encore sur la chaussée mais j’aperçois derrière les nuages, le soleil qui tente d’étirer ses rayons.

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La route est déserte… je m’éloigne des circuits touristiques. Il faut dire qu’à part un petit village perdu et ce jardin botanique, la route ne mène nulle part. Il faut donc avoir un prétexte pour s’aventurer ici. L’avantage, c’est que je peux m’arrêter un peu n’importe où, au détour d’un virage offrant un panorama incroyable ou en bord de route à l’affût d’une nouvelle espèce. Et des espèces il y en a ! Si on en croit le Petit Futé « Taïwan peut être considérée comme l’île aux Oiseaux. C’est en effet là que se trouve la plus forte concentration d’espèces d’oiseaux au kilomètre carré au monde. Au total, on compte plus de 450 espèces ! »…

Les décors varient, les activités agricoles influant sur le paysage. Des champs proposent des milieux ouverts. Ceux-ci ajoutés à l’heure matinale permettent d’observer dors et déjà quelques oiseaux : Elanion blanc, Autour huppé, Hirondelles de Tahiti, Rougequeue aurore,… La liste peut déjà paraître impressionnante, mais les oiseaux, bien que ça ne leur enlève aucune importance, sont des oiseaux déjà vus ! La seule surprise vient de Râles à poitrine blanche ! Une espèce que je voulais voir et qui déambulaient à distance dans les rizières inondées.

Les champs s’éloignent dans le rétroviseur, mais les milieux demeurent ouverts pour quelques centaines de mètres encore… je vois déjà devant moi, la forêt avalant ce qu’elle peut et les lignes électriques disparaître sous des amas de feuilles ! Il ne reste que quelques mètres et coup sur coup, deux espèces se présentent : un Pipit à dos olive et un magnifique mâle de Rougequeue aurore !

DSC07068Pipit à dos olive

DSC07073Rougequeue aurore

Les arbres grandissent à vue d’oeil, les lianes commencent à pendre en tout sens et des fougères arborescentes déploient leur couronne de feuilles ! J’ai bel et bien basculé dans un autre monde ! Toute cette verdure s’arrête le temps d’un virage ! La route enjambe un filet d’eau, mais il y a fort à parier que le débit doit être plus rapide à certaines périodes de l’année si on en juge à la largeur du lit et à tous les galets présents ! Au loin, sur les galets justement, gesticule un petit oiseau gris. Il sautille et exhibe son croupion blanc en chassant quelques insectes. C’est une femelle Nymphée fuligineuse. Le mâle a davantage l’allure d’un Rougequeue noir, beaucoup plus sombre que la femelle et avec un croupion rouge. Le dimorphisme sexuel est spectaculaire, il est impossible de les confondre.

Je reprends la route et la forêt repart de plus belle ! La luxuriance de la verdure est à son paroxysme et au détour d’un virage, des oiseaux bleus décollent et disparaissent rapidement dans la canopée. Ce sont des Pirolles de Taïwan, des corvidés de la corpulence d’une pie mais dont la queue d’une quarantaine de centimètres donnent l’illusion d’une taille bien plus imposante !

Je continue ma route et me retrouve rapidement bloqué ! La route est fermée ! Je me retrouve derrière une barrière. En fait, il s’agit de l’accès au jardin botanique et il me reste un peu plus d’une heure avant son ouverture. Je me gare sur le coté et marche sur la route, bien décidé à surprendre un oiseau et pourquoi pas retrouver les pirolles !

J’entends des bruits étranges dans la végétation bordant la route ! Je prends d’abord ça pour des cris d’oiseaux, de faisans… mais rapidement, je m’aperçois que je suis dans l’erreur. Je vois des feuilles bouger au niveau du sol mais rien ne se découvre… et puis au loin, j’aperçois sur une branche un singe qui me regarde. Serait-ce un des siens qui faisait tout ce boucan ? Je relève alors la tête et vois que je suis épié de toute part. Les macaques de Formose sont partout ou presque, cachés mais ils m’observent… je peux maintenant les apercevoir à travers les branches… et puis l’un d’eux donnent l’alerte et ils disparaissent les uns après les autres.

Un peu plus loin, voilà les pirolles ! Toujours dans la canopée, cachées en hauteur, sous les branches et n’en partent que pour mieux se camoufler. D’autres espèces défilent alors sous mes yeux, c’est le retour du Barbu de Formose, mon numéro 1000 ! Mais vert sur vert… et puis un Loriot pourpré vient se poser à l’ombre de la végétation ! Magnifique, tête noire et corps pourpre qui ne ressort malheureusement pas du fait du manque de lumière… lui aussi disparaît rapidement. Ce n’est décidément pas mon jour, ou peut-être ne suis-je pas encore au point pour photographier les oiseaux dans des conditions forestières ? Heureusement, un Témia de Swinhoe vient se poser à distance respectable, tout n’est pas perdu !

DSC07086Témia de Swinhoe

Je retourne vers la barrière, alerté par le fait que plusieurs voitures soient passées à coté de moi et qu’aucune queue n’ait l’air de se mettre en place. Je m’approche du guichet et commence un dialogue de sourd. En dehors de Taïpei, l’anglais n’est pas tellement répandu… mais je comprends bien vite que l’entrée n’est pas ouverte à tous et qu’il faut une autorisation… qu’il fallait réserver au préalable sur internet… je suis un peu perdu. En voyant « Fushan Botanical Garden » sur la carte, je ne suis pas allé plus loin. Pour moi, c’était suffisant.

Un taïwanais qui attendait derrière moi, voyant ma déception, prend alors les choses en main. Il me parle, puis s’adresse à l’agent de l’accueil. Un coup de téléphone est passé et quelques questions me sont posées… finalement, tout est bien qui finit bien. Le fait d’être touriste et non résident aidant un peu les choses… il se porte garant pour moi, je dois rentrer et sortir du parc en même temps que lui, j’apprends alors qu’il a réservé son entrée il y a de cela 3 mois… je suis chanceux et me voilà déjà à rouler en direction du précieux jardin…

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Quelques minutes plus tard, me voilà à arpenter les sentiers du jardin… mais malgré quelques zostérops, je dois bien avouer que les observations ornithologiques sont bien maigres et rapidement l’intérêt change de camps. Ce ne sont plus les oiseaux les stars, l’île aux oiseaux est devenue l’île aux mammifères. Sur les 122 espèces de mammifères vivant sur ces terres, 81 sont endémiques ! Avançant un peu vite dans un sentier, je fais fuir un muntjac que je n’avais pas remarqué. Le Muntjac de Reeves est un petit cervidé ne dépassant pas la cinquantaine de centimètres au garrot. A l’origine, il est endémique de Taïwan, comme beaucoup d’espèces animales présentes sur l’île, mais il a été introduit en Asie de l’Est (Chine) mais également, plus surprenant, en Angleterre et aux Pays-Bas.

Quelques dizaines de mètres plus loin, j’en croiserai un autre… puis encore un, et un groupe de trois individus… au final, c’est plus d’une dizaine de muntjacs que j’ai pu observer. Sont-ils communs ? Ceux-ci sont-ils habitués à la présence humaine ? Ce jardin botanique, éloigné des habitations et de l’agitation des villes, rassemble t-il le calme et tous les éléments favorables au développement de ces animaux ? J’aurai peut-être la réponse à toutes ces questions au fil de mon périple.

DSC07113Muntjac de Reeves

J’explore tous les sentiers, découvre toutes les collections, et passe de forêts de bambous à forêts de conifères… les arbres ont beau varier, les stars du jour sont bel et bien les mammifères, et après les macaques et les muntjacs, c’est une troisième espèce qui se présente devant moi. Endémique celle-ci aussi, et beaucoup plus peureuse, je n’en aperçois qu’une, couchée à la lisière de la forêt : c’est un Saro de Taïwan. Le saro est un capriné, à l’instar des chèvres, des moutons ou encore des chamois, et le seul bovidé à avoir survécu à Taïwan après la dernière glaciation, il y a 16 000 ans.

Pus tard, sous un abri, ce sont trois chauve-souris qui seront repérées. L’espèce en question n’est pas endémique mais la sous-espèce l’est, il s’agit de Phyllorines de l’Himalaya. Ces chiroptères insectivores visitent le Jardin Botanique de Fushan en été, et comptent parmi les plus grosses chauves-souris de Taïwan, dépassées uniquement par l’espèce frugivore Pteropus dasymallus autrement nommée renard volant ou plus communément roussette.

DSC07116Saro de Taïwan

L’heure de la sortie approche et je ne veux pas faire attendre mon bienfaiteur, alors je presse le pas. J’évite les groupes réunis autour de guides effectuant des visites, reste au calme et longe le plan d’eau à proximité de l’entrée. Des tortues se réchauffent au soleil sur des branches et des racines dépassant de l’eau. Un Héron cendré est posé sur la barrière d’un sentier surplombant l’étang et regarde fixement devant lui. Et puis, une tâche blanche attire mon attention. Sur l’autre rive et sur un arbre au sol qui se noie sous la surface, un Râle à poitrine blanche cherche sa pitance. J’en avais déjà aperçu un peu plus tôt dans la journée dans des rizières inondées, mais celui-ci se trouve à distance raisonnable pour le prendre en photo. Il se dissimule parfois derrière quelques feuilles mais ne demeure pas invisible très longtemps… du moins pas tant que les environs sont calmes. L’arrivée d’un groupe un peu bruyant aura raison de cette observation. L’oiseau et ses doigts démesurés lui servant à marcher sur les plantes flottantes, s’éclipsent pour ne plus réapparaître.

DSC07143Râle à poitrine blanche

Ne décidant pas de mon heure de sortie, me voilà sans planning. J’opte pour la solution qui me rapprochera le plus du Parc National de Taroko, ma prochaine étape. Je prends alors la route, je dois en avoir pour approximativement 120 km… mais qui se réalise en près de 3h, du fait de la topographie de l’île et de l’absence de voie rapide. Pas de temps à perdre, demain je m’en vais explorer ce parc dont je n’ai entendu que du bien.

14 réflexions sur “L’île aux oiseaux

  1. Le mâle à davantage l’allure d’un Rougequeue noir
    Je relève alors la tête et vois alors que je suis épié de toute part.(répétition un peu lourde dans un si joli texte, non?)

    tu as une bonne étoile qui veille sur toi car il était quand même peu probable de faire cette visite sans une aide bienfaitrice 😉
    de bien belles et instructives observations de mammifères ce jour-là!

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  2. Ah mince, le témia de Swinhoe et le râle à poitrine blanche ne s’affiche plus, voilà ce que c’est d’arriver toujours des plombes après tout le monde 😦 Bon, pour le reste, ça fait quand même un beau petit paquet de belles rencontres… et ce n’était pas gagné pourtant, tu t’en es très bien sorti 🙂

    Amitiés

    Seb

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    • Ah oui, ces deux espèces ont été victimes d’une malencontreuse gestion de blog. J’ai voulu faire de la place, en effaçant des vieux articles et photos, et certaines images se sont glissées dans la mauvaise catégorie… tu risques d’en trouver quelques autres comme ça… :/

      « Pas gagné » tu l’as dit, je voyais le moment où je devais faire marche arrière sans rentrer… mais une fois de +, la chance m’a souri ! 🙂

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