Dans le mille

23 novembre 2018 : Je suis arrivé hier à Taïwan. Le temps de récupérer mon sac et de regagner Taïpei, la nuit avait déjà enveloppé la ville. Difficile de se faire une idée sur la part qu’occupe la nature au milieu de toutes ces habitations. Plus généralement, quelle est la véritable place de la nature sur cette île qu’en bons occidentaux, nous imaginons des plus industrielles ? C’est un peu l’interrogation qui me taraude en arrivant. Bien sûr, j’ai déjà fait ma petite enquête. Je sais que l’est de l’île est particulièrement peuplé, je sais aussi qu’une chaîne de montagnes la divise en deux et limite la densité d’habitants dans cette zone, je sais aussi que plus d’une vingtaine d’espèces d’oiseaux endémiques résident en ces lieux et que bon nombre de migrateurs intéressants viennent prendre leurs quartiers d’hiver sous ses cieux réputés cléments. Alors je veux apporter des preuves à ma propre enquête… et pour ce qui est des cieux cléments, je me trompe déjà lourdement. La météo annoncée pour les prochains jours est à la pluie dans le meilleur des cas, à l’orage dans le pire…

Je me lève de mon lit. J’ai passé la nuit dans une sorte de cagibi où 8 couchettes ont quand même pu être entassées. J’ai fermé l’oeil une heure… depuis je lis, j’attends que le jour se lève pour partir à la découverte des quelques coins de verdure présents à proximité.

Premier aperçu de vie matinale : la ville est calme. Bien loin de la frénésie qui envahissait les lieux hier soir. Le jour se lève à peine et quelques gouttes tombent déjà. Je ne suis pas venu pour passer ma journée enfermé et ce ne sont pas quelques gouttes qui vont m’arrêter… en quelques minutes j’atteins déjà mon objectif de la matinée : le Jardin botanique de Taïpei ! Première surprise : il est à peine 6h, et il est déjà ouvert !

Quelques mètres et déjà, première observation : un magnifique Bihoreau malais ! Immobile, imperturbable. Ni moi, ni la fine pluie qui s’abat ne parviennent à le sortir de ses pensées. Il ne bouge pas et ne bougera pas des quelques minutes que je passerai à le scruter sous tous les angles. Je le laisse à ses occupations et décident de poursuivre mes investigations.

DSC06738Bihoreau malais

Le jardin botanique est un bon moyen d’avoir un avant-goût de ce qui peut m’attendre lors de mon épopée. Les différentes collections se succèdent dans une atmosphère de plus en plus humides. La pluie redouble d’intensité, je me dépêche de trouver un abri et je patiente quelques minutes. Mais rapidement, je m’aperçois que je ne suis pas trop d’humeur à attendre et qu’une soif de découverte coule en moi plus forte que l’eau qui ruisselle à l’extérieur. Alors je reprends mon avancée, bien m’en a pris, la colère du dieu météo se calme doucement.

L’avantage, car il y en a un, à ce que se répètent de petites averses, c’est qu’à la fin de chacune d’elles redémarre la vie, les oiseaux chantent comme au lever du jour, et ceux qui restent à découvert sèchent leurs ailes en se montrant coopératifs. L’occasion rêvée de voir les oiseaux les plus communs des lieux, Moineaux friquets en tête. Tourterelle tigrine, orientale et à tête grise représentent les Columbidae… et puis débarquent les oiseaux agités ! Un flot de petits oiseaux sèment la terreur dans les branches, bruyants mais difficilement visibles ! C’est un groupe mixte de deux espèces qui n’ont pas grand chose à voir l’une avec l’autre mais leurs noms semblent réconcilier les peuples. Les premiers sont minuscules et vifs, verdâtres avec l’oeil rehaussé d’un cercle blanc et répondent au nom de Zostérops du Japon. Les seconds sont plus gros et s’égosillent, ce sont des Bulbuls de Chine.

DSC06757Bulbul de Chine

Il me semble avoir trouver le coin parfait : un petit cours d’eau, quelques arbres en fleurs et même quelques fruits. Si j’étais un oiseau, nul doute que ce lieu ferait partie de mes préférés ! Mais si l’emplacement est propice aux oiseaux, il n’en est pas toujours le cas pour les photos… la lumière n’est pas des plus belles, le ciel est gris, les contre-jours trop fréquents, les branches omniprésentes et la pluie reprend. Je comprends bien vite que mes prochaines observations ne se limiteront qu’à l’observation justement.

Premiers oiseaux sympathiques et premiers endémiques. Je commence à griffonner quelques lignes sur mon carnet, ma liste commence véritablement maintenant ! Dans le désordre : Martin-pêcheur d’Europe, Pie-grièche brune, Bulbul noir, Bergeronnette des ruisseaux, Gallinule poule d’eau, Héron cendré, Shama dayal, Shama à croupion blanc, Témia de Swinhoe… et quelques spécialités locales : Pomatorhin de Taïwan, Pirolle de Taïwan et Barbu de Formose.

Ma petite histoire personnelle retiendra que le Barbu de Formose, oiseau endémique de Taïwan et donc, par conséquent, que l’on ne rencontre qu’ici, est mon numéro 1000 ! La millième espèce d’espèce d’oiseau que je rencontre au fil de mes voyages ! Il y a pire comme oiseau ! Un oiseau très coloré, vert, à la tête bleue et jaune, et au collier rouge. Ma petite histoire personnelle retiendra aussi que je n’ai pas pu le prendre comme je le souhaitais en photo… mais je n’ai pas dit mon dernier mot, ce n’est que le début du voyage ! 1000 ! Sur plus de 10 000 espèces réparties de par le monde, cela signifie que j’ai déjà eu l’opportunité d’en voir une sur dix ! 10% ! Je trouve déjà ça énorme ! Une autre façon de penser consiste à dire qu’il m’en reste 90% à découvrir ! C’est encore plus énorme… et je m’en frotte déjà les mains !

DSC06770Shama à croupion blanc

La pluie puise dans ses ressources pour me rappeler sa présence… je rebrousse chemin en direction de mon placard à balai afin d’y récupérer de quoi m’abriter… et au moment de repartir je pars en sens inverse du jardin botanique. Je décide d’explorer une autre facette de Taïpei : les berges du fleuve !

Dès mon arrivée, je constate que ça va être différent ! Il n’y a pas d’arbres ou très peu, et déjà quelques passereaux m’annoncent leur présence : Bergeronnette grise, Pie orientale, Rougequeue aurore, Martin huppé et triste, Etourneau à collier noir. Ils ne sont pas tous très coopératifs, si certains se prêtent volontiers au jeu des photos, d’autres décident de s’enfuir à la moindre tentative d’approche lointaine, c’est notamment le cas de l’étourneau ! Je parviendrai tout de même à immortaliser cet oiseau dont la robe est diamétralement opposée à celle de son cousin européen, sur un support peu naturel.

Sur les berges, on peut apercevoir quelques Ardéidéae, Grande aigrette et Bihoreau gris en tête. Un Chevalier gambette, jusqu’à son envol, invisible, décolle et disparaît rapidement. Dans le ciel tournoient quatre Milans noirs et au loin, des canards non identifiés précisément atterrissent dans la végétation ! Le potentiel de cette île paraît sans limite ! Chaque pas ou presque me réserve pour l’instant une surprise !

DSC06856Martin huppé

DSC06859Etourneau à cou noir

Je continue mon avancée. Sur la pelouse devant moi se nourrissent un groupe d’Ibis sacrés ! Un oiseau originaire d’Afrique et dont l’aire de répartition s’agrandit au fil des évasions des individus captifs. Des Hirondelles de Tahiti, très proches des rustiques que nous connaissons bien, s’adonnent à la chasse aux insectes volants, réalisant des va-et-viens incessants au dessus de ma tête.

En jetant un coup d’oeil sur ma droite, en direction du fleuve, je tombe sur un chantier qui offre des plans d’eau peu profonds. Le coin parait parfait pour quelques limicoles, je pense notamment aux bécassines, mais à part des ibis et des Hérons gardeboeuf, pas l’ombre d’une petite boule de plumes. C’est le moment qu’ont décidé des Vanneaux huppés pour arriver. Je ne sais d’où ils viennent ! Ils sont arrivés de nulle part en un flot continu. Des dizaines… peut-être une centaine même !

Sur le rivage, un nouveau Chevalier gambette s’enfuit et une Bergeronnette de Béringie se montre curieuse. Cette espèce, longtemps considérée comme l’une des nombreuses sous-espèces de la Bergeronnette printanière, certains auteurs la considérant d’ailleurs toujours en tant que telle, hiverne à Taïwan et se reproduit dans le sud-est de la Sibérie, en Mandchourie, à Sakhaline et dans le nord du Japon. Elle est ici, comme moi, en vacances !

DSC06877Bergeronnette de Béringie

Le chemin revient peu à peu vers la civilisation, par le biais de parcs et de parkings. La végétation les bordant offre quelques dernières observations. Un Bihoreau malais me propose le même spectacle que ce matin, à savoir il reste immobile, impassible, faisant confiance à son plumage mimétique. Une pie-grièche s’envole et se pose au loin dans un labyrinthe de feuilles. Le temps que j’arrive à proximité de sa cachette, elle sort observer les alentours, nous nous croisons le temps d’un instant.

Je scrute tous les recoins, j’observe partout ! Sur le câble électrique devant moi, ce sont les mêmes hirondelles qu’un peu plus tôt dans la journée, qui se reposent. La lumière grise me pousse à tenter une approche difficile pour les immortaliser. Je dois les contourner pour éviter tout contre-jour et espérer entrevoir une petite touche de rouge, celle qui leur couvre le visage et descend jusqu’à la poitrine, et qui les différencie, entre autre, des Hirondelles rustiques. Le tout en veillant à ne pas les faire partir. Mais les oiseaux n’ont pas l’air craintifs et ne bougent pas de leur perchoir. Mission accomplie !

DSC06879Pie-grièche brune

DSC06890Hirondelle de Tahiti

Cela fait un bon moment que je marche maintenant, la fatigue me gagne, bien aidée par le long vol d’hier et la nuit difficile… alors je décide de rentrer. Je garde néanmoins l’oeil ouvert et l’esprit vif. La pluie a finalement cessé. Toujours par intermittence, et rarement forte, elle m’aura tout de même accompagné une bonne partie de la journée. Cela rafraîchit l’atmosphère, mais l’idée de passer quinze jours avec ce temps me fait un peu peur. La météo pour les prochains jours ne s’annoncent pas bien meilleure. Mon seul espoir est que le sud de l’île réputé moins pluvieux le soit réellement. Je pourrai ainsi profiter de l’ensoleillement progressif au fil de ma descente. Je récupère ma voiture demain, et si j’ai prévu de traverser l’île, en revanche, je n’ai prévu aucun itinéraire.

La liberté !

8 réflexions sur “Dans le mille

    • Je rentre mes observations sur Ebird, le site compte pour moi. Il se trouve qu’avant mon départ j’étais à 991, donc la neuvième nouvelle espèce rencontrée était la millième ! Je n’ai pas encore rentré mes listes, mais je dois être maintenant aux alentours de 1060-1070 ! 🙂

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  1. me voilà enfin dispo pour lire et apprécier tes billets 🙂
    hier, en pensant à toi, j’ai acheté, chez mon libraire préféré, le livre sur le génie des oiseaux ainsi qu’un autre, très beau, sur les hôtes des arbres (mon mari est heureux par avance de ces lectures et moi aussi!)
    bref, tes billets nous font voyager et nous permettent de nous documenter alors rien que pour *ça*, on te dit un grand merci, jérôme ❤

    La pluie a finalement cessée.

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  2. Eh bien, pour un début en ville, ça commence fort ! Je sais que l’île compte une proportion d’endémiques assez impressionnante mais quand même ! Pour les bihoreaux, tu es certain qu’ils n’étaient pas empaillés ? 🙂 Un petit farceur savait peut-être que tu arrivais dans le coin :)) Incroyable en tout cas, c’est super. Je retrouve aussi pas mal d’espèces croisées au Japon, à Hong-Kong… et en Polynésie 😉 Bien sympa… Par contre, juste une remarque, le gros de la pop n’est pas plutôt à l’Ouest (chap 1) ? En tout cas, tu t’en es pas mal sorti du tout côté photos malgré la pluie, chapeau ! Merci pour le partage Jérôme.

    Amitiés

    Seb

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    • Plus d’une vingtaine d’endémiques et pas toutes difficiles à voir ! 😉

      Rien ne t’échappe ! Effectivement, j’ai relu cet article plusieurs fois, et même encore récemment, et je ne m’étais pas aperçu de l’erreur… la population est plutôt à l’ouest, tu as raison.

      La pluie aide à faire ressortir les oiseaux, surtout quand il s’agit de petites averses. ça aide pour les photos ! 😉

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